Interprétation
 Le travail artistique de l'Ensemble Energeia repose sur une intégration et une mise en relation rigoureuse de multiples paramètres et facteurs d'érudition, d'analyses, de justesse de relations entre interprètes, et avec le public. L'interprétation ne se réduit pas à une succession d'idées gouvernées par l'imagination subjective de l'artiste au mieux nourrie de quelques éléments stylistiques.

 Cette rigueur permet d’établir les conditions de l’émergence de la beauté propre à l’œuvre dans son intelligence et son autorité singulière. Il s’agit d’écarter la tentation d’instrumentaliser l’œuvre aux fins propres de l’interprète et de ses projections émotionnelles. Car c’est à partir de la beauté rayonnante dévoilée par le travail que se déploie la véritable intuition artistique, intuition non volontaire mais reçue de l’autorité de l’œuvre elle-même. L’artiste, dans un lâcher-prise d’une pure réceptivité à cette autorité, est conduit au-delà de son intelligence propre. L’artiste musicien s’inscrit dans un long et humble travail de gestation qui l’établit intercesseur entre le silence et la présence.

 En d’autres termes, il ne s’agit pas à proprement parler d’interpréter une œuvre d’art musical, mais de se laisser interpréter par elle. Elle nous est offerte comme un prisme qui renvoie à ce qui, dans l’Homme, est le plus profond et universel : le mystère de la Vie et de la conscience humaine. La responsabilité du travail de l’artiste est de mettre en œuvre tous les éléments pour favoriser l’émergence du sens de l’existence et tout ce qui peut humaniser nos sociétés et nos cités.

 Ainsi une œuvre est artistique dans la mesure où, bien qu’émanant de l’Homme, elle le précède, le dépasse, l’élève et le grandit. Source d’émerveillement continuel, sans jamais en être écrasé, Il s’en nourrit et s’en revendique. L’Homme découvre qu’il est infiniment plus beau que ce qu’il est capable d’appréhender de lui-même.

 La véritable œuvre artistique suscite l’Homme dans son libre-arbitre et ses propres capacités de création pour le féconder. Au-delà d’un simple ajustement sonore savant, l’Homme est invité à faire un travail et un chemin de désappropriation de lui-même sur la voie de l’écoute. Il se laisse interpréter, transformer, révéler par la beauté ainsi manifestée. A terme, l’œuvre musicale dévoile à ceux qui acceptent de se laisser transformer et humaniser par elle, que l’Homme est essentiellement spirituel et que ce qui unit l’humanité est infiniment plus important que ce qui la divise. L’art et le pain s’unissent pour veiller à ce que l’homme devienne Homme.

 C’est pourquoi, la beauté, dans l’art ainsi défini, relève toujours d’une certaine sacralité où le clivage sacré/profane se dissipe au profit d’usages qui peuvent être liturgiques mais aussi simplement esthétiques.

 A la violence du monde, la responsabilité de l’artiste est de manifester l’altérité du Beau qui s’offre à nous et nous révèle, et à travers elle, d’offrir un autre chemin de rencontre, d’échange, de respect, de fraternité et d’humanisation.

Jean-Dominique Abrell o.p., directeur artistique